Notes oubliées dans le train
Lionel, Brigitte, Anne-Marie, Claire, Louisa, Éric
— 9 h 35 arrivée à la gare flambant neuf de Saint-Dizier, surprise, personne à vue – extérieur et intérieur.
4 petits cafés au distributeur « new-look », eau chaude + sucre, sans poudre de café… directement, poubelle.
Pas de guichet ouvert donc, pas de signalement du fait. Soit,
— 10 h, passage sur le quai quasiment aussi désert que le hall d’entrée.
—10 h 05, arrivée du train et montée dans notre omnibus, presque vide également.
Jadis, Saint-Dizier-Chaumont c’était la grosse antenne ferroviaire. Maintenant, ce n’est plus qu’un maigre vaisseau sclérosé.
Boff !! La traversée Nord Sud et retour de notre magnifique département se fait calmement sans heurts ni cohue. Il est vrai que nous traversons un « désert vert ».
Plus de gares ou presque, plus de gens, ou peu, plus de vaches dans les près, plus de prés, cultures intensives.
— 11 h, arrivée à Chaumont. Trajet assez rapide, bien oui, presque plus de haltes.
Retour 1 heure plus tard, mêmes conditions. Arrivée Saint-Dizier terminus pour notre petit groupe joyeux, heureusement.
Bientôt, ce petit périple sera réservé aux quelques touristes égarés entre ces deux « villes ».
Le tortillard du souvenir. EH oui, 170.000 habitants, aucune industrie, travail, etc. ça limite la ?????
Un nostalgique du train ouvrier. Quand il y avait du travail pour toutes et tous. Souvenirs, souvenirs !!!
P.S. Il n’y a presque plus de trains dans nos contrées dépeuplées, par ce qu’il n’y a plus de bovidés pour les regarder passer. OU inversement !!!
Les horaires que j’indique ne sont pas fiables à 100 % comme la SNCF.
Lionel

Ma petite histoire remonte à 1984 ou 1985, mes fils avaient 8 et 6 ans ou 9 et 7. On était à Donjeux depuis 82 et de temps en temps, je les amenais, les mercredis, voir mes parents à Saint-Dizier. De fois on y allait en voiture, mais des fois en train. C’était aussi une petite fête, ils s’amusaient, on partait avec le goûter dans le sac à dos, la bouteille d’eau, un bouquin, une BD, ce n’était pas bien loin, mais c’était une expédition. On a fait plusieurs fois le trajet avec eux et puis un jour je leur ai dit qu’ils allaient essayer de faire le voyage seuls. Ils étaient contents, mais un peu inquiets quand même. Je suis allée voir le contrôleur et je lui ai expliqué la situation en lui demandant de vérifier que les enfants ne paniquent pas et surtout qu’ils s’arrêtent bien à Saint-Dizier. Alors, le contrôleur m’a dit que le mieux c’était qu’ils fassent le voyage avec le conducteur, dans sa cabine. Et c’était pour eux un souvenir extraordinaire. Ils avaient l’impression d’avoir été les seuls enfants au monde à avoir vécu ça. Pour eux, de voir la route s’ouvrir devant leurs yeux a été inoubliable. Une autre fois, ils ont refait le voyage seuls, ils lisaient une BD, le contrôleur est venu et leur a demandé ce qu’ils lisaient et il se souvenaient d’avoir lu la même histoire quand il était enfant, c’était un petit moment tout simple, mais d’une grande gaîté. Il y a un des enfants qui a vécu un peu la même situation en péniche. Il se baladait au bord du canal, il regardait le marinier qui lui a proposé de l’amener jusqu’à la prochaine écluse. Aujourd’hui on aurait peur de faire tout ça. Cette insouciance, nous ne l’avons plus.
Je regrette qu’il y ait de moins en moins de trains, car je n’aime pas conduire, je préfère me faire conduire par le train, c’est plus écologique et puis… on fait des rencontres. La première que je peux raconter remonte à décembre 2019. Je devais aller à Saint-Dizier récupérer ma fille qui revenait d’Indonésie. En arrivant à la gare, les voyageurs ont été prévenus que suite à un accident, le train ne pourrait pas poursuivre le trajet. Alors, ma fille a discuté avec un monsieur qui devait aller jusqu’à Joinville. Elle lui a proposé de le déposer à sa destination en voiture. Il nous a dit que généralement c’était un prince charmant qui enlevait les jeunes filles et qu’il était un peu trop vieux pour un prince charmant. Je lui ai dit qu’on n’avait que sortir des poncifs. Pendant le trajet, nous avons d’abord discuté de la pluie et du beau temps et puis on a fini par lui demander ce qui l’amenait de Paris à Joinville et c’est là qu’il nous a appris qu’il était sociologue et philosophe et qu’il avait fait aussi de la radio en Haute-Marne. Curieuses, nous lui avons demandé qui il était, ce à quoi il a répondu : Je suis Henri-Pierre Jeudy. Alors ma fille qui avait suivi toutes les émissions de France Culture qu’il avait animées à Blumeray avec Jean Lebrun était fort surprise. C’était inhabituel de rencontrer comme ça, par hasard dans une gare, quelqu’un de connu, mais qui n’est pas non plus un chanteur, un comédien. Il nous a dit qu’il devait se rendre à Joinville voir une amie et il m’a demandé si je connaissais La Rambleur. J’avais déjà vu la vitrine, une sorte de magasin d’antiquité, mais je n’en savais pas plus et c’est comme ça que j’ai connu La Rambleur. On s’est arrêté, Claudia nous a proposé un thé, nous avons écouté un disque d’Hildegarde de Binguen et après, j’ai intégré le groupe d’atelier d’écriture. Et quand je suis rentrée à la maison, je me suis dit, je vais, épater tout le monde, j’ai dit à mon mari : tu ne devines pas qui nous avons rencontré à la gare et ramené à Joinville. Je précise qu’il s’agissait d’un monsieur d’un certain âge, d’une certaine classe et il m’a dit de suite, mais c’est évident, c’est Henri-Pierre Jeudy. Après je fais le même coup à mon fils, il me dit, Christian Vander, peut-être, je dis non et lui, il ne connaissait pas Henri-Pierre Jeudy.
La deuxième rencontre s’est produite à la gare de Joinville. Dans les jours qui ont suivi Noël, en 2020. Nous y avons amené notre fils et sa compagne et en arrivant, une petite affichette annonçait que le train avait été supprimé à cause de la tempête. Nous avons réfléchi, le prochain arrêt c’était Vitry, nous avions juste le temps d’y arriver, nous avons décidé de tenter notre sort. Il y avait, sur le quai, un jeune homme tout embêté de ne pas pouvoir partir. Il venait, lui aussi, de passer les fêtes de Noël en famille et nous lui avons proposé de l’emmener. Nous sommes partis, mon fils, sa compagne avec le panier du chat sur les genoux, mon mari, moi et le jeune. Après encore ces conversations anodines que nous entretenions avec des personnes que nous ne connaissons pas, il s’est présenté… Moi c’est Julien. Chacun s’est présenté, il nous a expliqué qu’il était éditeur aux Presses universitaires de France, aux éditions Le Pommier, celles de Michel Serres. C’est cocasse de rencontrer des gens comme ça dans le vide des gares de Joinville ou de Saint-Dizier. Un jour, un philosophe, un autre, un éditeur, les gens qui travaillent dans le « non-essentiel ». Et nous lui avons promis de l’informer la prochaine fois que nous ferons une belle rencontre dans les gares. Ce sont des apparitions, des gens que nous n’imaginons pas rencontrer et encore moins dans ces lieux.
Brigitte
