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Urgences aux ronds-points

Karine Stebler [1]

3.2. La 221 PLM
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La 221 PLM 
Datant de 1907, elle est complètement dépassée en 1935,

mais le PLM saura transformer la citrouille en carrosse !

Une fois dans la gare (souvent beaucoup plus d’une heure avant le départ, notre premier contact avec notre train était l’arrière du dernier wagon avec sa lanterne rouge. Une fois installé dans notre compartiment, je demandais la permission d’aller en tête de train pour admirer la motrice. Accompagné d’une de mes sœurs nous allions toujours rendre visite à notre locomotive après avoir pris possession de nos places à l’avance dans le compartiment qui nous était assigné.

Après les recommandations d’usage de notre mère, pour ne pas rester trop longtemps, nous voilà partis sur le quai à la rencontre de notre objectif.

Mais surprise, point de motrice.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour la voir arriver, énorme, imposante, bruyante, toute noire, jets de vapeur et avertisseurs stridents, elle entrait en marche arrière en Gare Montparnasse avec détermination et panache pour s’amarrer au reste du convoi.

Le chef de gare, prudent, nous recommandait de reculer, le chauffeur et le mécanicien en bleu de chauffe, s’affairaient autour de ce monstre d’acier qui vomissait de temps en temps quelques panaches de fumée.

Nous allions rôder autour de la loco, renifler la divine odeur – cambouis plus charbon – amplifiée par la chaleur. Comme nous les enviions les gueules noires.

Parfois l’un d’entre eux nous faisait monter sur la plate-forme sous le regard désapprobateur du chef de gare : toutes ces manettes, ces cadrans qui brillaient, le concert des bruits, la porte du foyer entrouverte, les flammes hallucinantes. Un vrai vertige ! Les gars nous regardaient gentiment, mais rigolards, tous émerveillés que nous étions. Pour ne pas inquiéter notre mère, nous devions revenir dans le compartiment qui nous avait été assigné en troisième classe le plus vite possible.

Mais, plutôt que de prendre le quai, nous faisions notre retour en prenant le couloir : 1re Classe, 2e Classe, 3e Classe, fumeurs, non-fumeurs, wagons-lits, couchettes, voiture-bar et wagon-restaurant. Passage des soufflets. Il va sans dire que nous étions en 3e Classe (supprimée en 1956). Avec ses portes de compartiment en boiseries et ses banquettes en skaï.

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Aucun risque que le train parte sans nous. Ces nombreux aller-retour dans le couloir des voitures nous permettaient de nous dégourdir les jambes, d’observer les familles et de noter les différences de qualité de confort de chacune des Classes tout en contemplant le paysage à notre guise. Gare aux escarbilles si l’on se penchait un peu trop à la fenêtre !

Attention au départ !

Le cri du chef de gare se faisait entendre sans haut-parleur. Nous prenions rapidement possession de notre compartiment pour nous installer juste avant que le train ne s’ébranle.

Il y avait même des cendriers dans le compartiment « fumeurs ». On pouvait fumer dans les compartiments… mais il y avait des voitures « non-fumeurs ». Pour vider le cendrier, il fallait le tirer vers le haut et les basculer vers l’avant.

Nous roulions maintenant pour plus de 6 heures de voyage.

Nous avions pris la précaution d’emporter un jeu de cartes et un jeu de dames. L’heure du repas était très attendue. Nous avions toujours très faim dans le train et sortions très tôt tout ce que notre mère avait préparé : pain, pâtés, rillettes, saucisson à l’ail, andouille et petits gâteaux secs confectionnés à la maison. Et la traditionnelle banane.

Ce voyage était vécu comme une aventure, il se passait tellement de choses pendant ces 6 heures de transport ferroviaire jusqu’à Saint-Brieuc. On y rencontrait des militaires en permission, des enfants turbulents courraient dans le couloir en criant, des couples s’embrassaient dans le soufflet, entre deux voitures, un prêtre en soutane lisait debout dans le couloir, se balançant au grès des mouvements de la voiture.

Bientôt, un contrôleur à casquette étoilée déboucha dans le compartiment : « Billets, s’il vous plait ! ». Notre mère eut tôt fait de retrouver les billets. L’employé des chemins de fer les poinçonna après vérification. Soudain nous eûmes un sursaut, une tornade de fer hurlante à 120 km/h prit le wagon en écharpe. Des fenêtres folles galopaient près de nos vitres. Les deux convois en sens inverse, échangeaient au passage des battements, des halètements, des coups de sifflets furieux dans un vacarme incroyable. Puis, la muraille de fer s’éloigna, le vide se creusa, le grondement des roues s’apaisa et devint aussi doux qu’une musique.

Arrivée à la première étape : Saint-Brieuc.

Après la descente, un nouveau départ, mais cette fois-ci nous restions sur le quai avec nos bagages. Deux lanternes rouges à l’arrière du dernier wagon s’éloignèrent à l’extrémité du quai… Deux yeux nous regardant en signe d’un au revoir…

Pourquoi éprouve-t-on dans les gares un sentiment de nostalgie, cette impression d’un impalpable horizon que l’on ne ressent pas dans les aéroports ?

Notre train était donc reparti pour Brest dans un panache de fumée sans oublier de nous faire signe par un sifflement strident. Merci Chauffeur !

Lieu des au revoir et des adieux, lieu aux histoires meurtries, aux décisions décousues, aux envols vainqueurs, lieu de toutes les souffrances, de toutes les interrogations et de tous les espoirs, lieu des larmes chaudes et des serments hâtifs, lieu des derniers sourires, des paroles qu’on n’oubliera jamais et des baisers donnés pour la vie, voici la salle des pas perdus.

Que s’est-il passé ? Rien, c’est-à-dire tout. L’essentiel. La vie. Une multitude de personnages se seront croisés, ignorés, frôlés, touchés, aimés, disputés.

Puis, changement de train, changement de quai, pour rejoindre notre micheline qui semblait nous attendre sagement. Heureusement, car le transfert des bagages n’était pas chose facile.

Mais, oh surprise, c’était une petite loco qui nous prenait en charge. Époque de transition où le diesel remplaçait progressivement la vapeur.

La SNCF arrête l’exploitation de la vapeur pour le service passagers en 1972.

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La micheline avait été remplacée par un charmant tortillard à vapeur, avec banquettes en bois et portes en bois ouvrant sur le quai, qui allait nous acheminer paisiblement à travers la magnifique campagne bretonne.

Une locomotive moins imposante certes, mais tout aussi charmante quand son panache de fumée l’enveloppait comme une robe de mariée.

Une fois installés, nous retrouvions un peu de calme en attendant le départ. Nous sommes restés tout de même une bonne heure avant de nous mettre en route vers notre destination finale : L’Hermitage-Lorge. Là nous attendrait un ami agriculteur avec sa charrette tirée par un cheval, pour retrouver notre grand-mère habitant à 5 km.

Encore une demi-heure d’attente, un dernier regard sur le chef de gare agitant son drapeau rouge et sifflant le départ, nous avons remonté les vitres pour éviter à nouveau les escarbilles rejetées dans les volutes de fumée, un coup de sifflet plus fort que les autres, et c’est reparti…

Le train donnait cette impression invraisemblable de foncer. Des sonneries retentissaient au passage à niveau auquel répondait le sifflet de la locomotive. Il n’était pas rare que quelques escarbilles mettent le feu aux fossés qui longeaient la voie. Quelques fois la loco devait s’approvisionner en eau pour remplir la chaudière. Un grand tube sur le quai faisait office de manche à eau pivotante.

J’ai appris plus tard que les locomotives à vapeur consommaient de 1,5 à 2 tonnes de charbon aux 100 kilomètres, ainsi que 10 à 15 mètres cubes d’eau traitée pour éviter le tartre. La capacité du tender était d’environ 20 tonnes de charbon, quant à la capacité du réservoir d’eau 40 mètres cubes. Les trains s’arrêtaient tous les 100 kilomètres environ, pour faire le plein d’eau. La prise d’eau s’effectuait par une grue à eau ou manche à eau. Le tube en toile était fixé à un poteau, il fallait l’introduire dans le tender, pour remplir le réservoir.

Je me retrouve avec ces images, tantôt floues, tantôt plus nettes, et je respire les odeurs de charbon, de graisse, de jets de vapeur jaillissant vigoureusement, signes de vie de ce monstre de ferraille.

Et puis, nous arrivons à notre gare de destination.

Abrutis de bruit et de fatigue, assoiffés et affamés.

Nous descendons sur le quai en faisant bien attention de ne pas tomber, car les marches sont hautes. Nous descendons, stupéfaits d’avoir enfin atteint la Terre Promise, notre : L’Hermitage-Lorge !

Il ne nous reste plus qu’à récupérer nos bagages, les malles et valises stockées dans un petit hangar de la gare, à les hisser dans la charrette du Père Sommier qui nous attend. Puis, les femmes et les enfants prennent place.

« Ce n’est pas le tout, mais on a de la route à faire ! »

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