Outre mesure – 1995 –
René Major
« Tout aura commencé par un étourdissement, une syncope, un silence au temps fort, une mesure à contre-temps. Le contre-temps est le commencement même. Au commencement – à tout commencement – il y a le contre-temps. L’improbable qui arrive. Telle la probabilité de l’apparition de la vie sur la terre qui était a priori quasi nulle.
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L’homme naît à contre-temps dans l’incapacité de se suffire à lui-même et de dire la détresse dans laquelle il se trouve, l’impossibilité de voir son besoin s’accorder synchroniquement avec le désir de l’autre.
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Dès lors il invente les boussoles, les compas, les calendriers, les chemins de fer, la vitesse, tout ce qui, pour éviter les contre-temps, ne cesse d’en multiplier les occasions.
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Rien n’arrive à temps pour le désir. Rien n’arrive sans retard sans détour. Le retard est originel. Le contre-temps, essentiel. Il ressortit à un autre temps que celui du calcul. Il est déterminé par une autre temporalité ou par une atemporalité. Il survient en anticipation ou dans l’après-coup. Pour cette autre temporalité et contrairement à celle qu’il traverse à contre-courant, le contre-temps arrive toujours à temps. Juste à temps. Comme de juste. Pour dire le contraire ou autre chose que prétendent dire la temporalité de la conscience ou la conscience du temps.
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La bévue et l’impair rappellent à l’intention de faire gaffe. Mais comment ce faire gaffe peut-il éviter de commettre l’impair ? (L’impair qui est unique, qui n’a pas de double)
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L’amour partage le contre-temps dans la promesse de sa suspension et dans l’absence du rapport qui se nourrit de l’équivoque signifiante. Les deux moitiés ne cessent de s’empêtrer dans la coïtération dont elles s’empanachent ou s’empannent. Que chacune ne trouve toujours à sa porte que le mi-dit n’empêche de dénicher dans ce contre-temps le prétexte à s’étourdir(e).
Ce qui n’arrive pas selon la mesure du temps ou selon la mesure du lieu arrive à contre-temps. Mais le contre-temps n’est pas une autre figure de ce temps. II est ce qui arrive d’inattendu à ce temps, sous une autre forme que celle que ce temps peut se représenter. Le contre-temps n’est pas le négatif de la représentation du temps ni son opposé, mais l’événement avec lequel le temps ne compte pas, que rien n’arrête, pas même le temps. Le contre-temps passe outre au temps, passe outre à l’arrêt de passer outre. Il est outre mesure.
